26 septembre 2008

Laïcité, j'écris ton nom...

Sujet sensible dans la société française aujourd'hui, remis au goût du jour par N. Sarkozy (discours de Latran et de Ryad) et la récente visite du pape en France, la laïcité est une notion importante dans la délivrance d'un service public en général, et particulièrement à mes yeux lorsque ce service est d'ordre culturel, et qu'il vise à s'intéresser et toucher toute la population, dans toute sa diversité.

Voyons ce que la république a à nous dire sur le sujet, au travers de la lecture de la charte de la laïcité dans les services publics, édictée peu avant les dernières élections présidentielles par les services du Premier Ministre Villepin... (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/laicite.pdf)

"Tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience."

L'évidence même pour un service public. Je n'ai pas à avoir un comportement différent vis à vis de tel ou tel usager en raison de ses convictions religieuses, que celles-ci soient visibles (signes "ostentatoires") ou pas. Ma neutralité doit également se retrouver dans ma collection ; une représentativité des grandes religions est un préalable à une collection portant sur les religions. J'aurai tendance à préférer les ouvrages sur la religion plutôt que les ouvrages de religion ; pourtant quelle bibliothèque n'a-t-elle pas dans ces rayons le plus grand best-seller de tous les temps ; la bible. Un Coran, une Torah, un livre des morts tibétains ont leur place en bibliothèque, non pour promouvoir l'écrit religieux, mais respecter d'une part la place de ces religions dans la population, et d'autre part permettre la connaissance, et la pensée sur le fait religieux. Comment discuter la doctrine chrétienne ou musulmane si le texte de référence est inconnu ? J'ai lu ici ou là que la classification Dewey faisait l'objet de critiques sur sa classe 200 consacrée aux religions ; avec 9 décimales consacrées aux religions chrétiennes, et une seule pour toutes les autres, le déséquilibre est incontestable, et une évolution me paraît effectivement pertinente. De là à tomber dans une logique de représentativité statistique, il y a un pas que je ne franchirai pas... D'abord parce que les statistiques s'intéressent plus à la pratique qu'à la croyance, ensuite parce que le rôle de la bibliothèque n'est pas de doser ces collections pour satisfaire chaque communauté, mais bien de proposer un ensemble cohérent à tous...

"Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations."

Entièrement d'accord ! Je ne claironnerai pas ma pratique ou non de telle religion, et je ne souhaite pas voir un collègue faire œuvre de prosélytisme entre deux transactions de prêt ou deux commandes de livres auprès de notre libraire...

"Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l’application du principe de laïcité dans l’enceinte de ces services."

... Et à l'agent de leurs signaler d'éventuels manquements.

"La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d’autorisations d’absence pour participer à une fête religieuse dès lors qu’elles sont compatibles avec les nécessités du fonctionnement normal du service."


La charte décline ensuite ces obligations pour les usagers cette fois, parmi lesquelles ;

"Tous les usagers sont égaux devant le service public. Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène."

Que dire du foulard portée par des usagers en bibliothèque ? Rien à mon avis...
Lieu public, symbole de démocratie, de diversité, de liberté, la bibliothèque n'a rien à opposer au "libre" choix de porter un foulard ou non, d'arriver en habit de scout, ou de porter la kipa... On en pense ce que l'on veut, bien sûr ; j'ai un avis très tranché sur la question des signes ostentatoires, mais dans mes fonctions de bibliothécaire, mon avis reste au placard ; je sers mes usagers, je leur rends le service qu'ils sont venus chercher, et ça s'arrête là.

Là où ça peut se compliquer, c'est si un usager de conviction X vient me reprocher le fait que tel livre proposé dans la bibliothèque offense ses croyances. Là, je serai d'avis de lui conseiller dans ce cas de ne pas lire l'ouvrage... et si ça ne suffit pas, d'écrire une lettre au conservateur ! (lire sur ce sujet, et plus généralement celui de la censure en bibliothèque, cet article).

"Les usagers des services publics doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme."
Et comment !

En guise de conclusion, un mot sur une pratique d'Europe du Nord (RU, Pays Bas) qui sollicite les communautés, notamment religieuses, au moment des acquisitions. Cette pratique découle selon moi de la conception communautariste de ces pays, et va à l'encontre des principes de cette charte, et plus généralement du code de déontologie de l'ABF ou de la charte du CSB. Je suis prêt à solliciter un universitaire réputé sur les religions, pas le religieux lui même. La collection de la bibliothèque à le devoir de proposer des documents sur les religions, elle n'a pas celui d'accueillir la religion.

Pour compléter la réflexion, je conseille vivement cet article d'une rare intelligence sur ce sujet tiré de la revue Hommes & migrations.

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